La finance durable prend de l’importance depuis le début des années 2000 (1). Pour éviter les accusations de green washing, les institutions financières, dont les banques, sont encouragées à ne pas simplement faire de la communication sur leur éthique durable, mais aussi à intégrer le risque environnemental dans leur activité économique.
Par conséquent, depuis les dix dernières années, pour adapter le financement des entreprises aux objectifs socio-environnementaux (ou encore « ESG »), les banques proposent des instruments de finance dits « durables ». Parmi eux les green loans ou « prêts verts » et les sustainability linked loans ou « prêts durables ». Explications des enjeux juridiques de manière synthétique ci-dessous !
Le principe du prêt vert
Un prêt vert peut être défini comme étant un instrument de crédit octroyé pour financer ou refinancer des projets directement en lien avec la transition vers une économie plus durable et respectueuse des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique (des « Projets Verts »).
Les prêts verts ont été créés par les institutions financières et ne font pas l’objet de règles propres harmonisées. Les associations financières à vocation régionale et internationale que sont la Loan Market Association (LMA), la Loan Syndications and Trading Association (LSTA) et l’Asia Pacific Loan Market Association (APLMA), regroupée dans l’International Capital Market Association (ICMA), ont publié des principes et des lignes directrices relatifs aux prêts verts pour aider les acteurs économiques à y voir plus clair.
A quelles règles doit répondre un prêt vert pour être considéré comme tel ?
Les Green Loans Principles imposent quatre piliers auxquels les financeurs doivent prêter une attention particulière : l’affectation des fonds (I), l’évaluation et la sélection des projets (II), la gestion des fonds alloués (III) et le reporting (IV). En une phrase, le prêt vert est un engagement pris à la fois par le prêteur et l’emprunteur sur un financement dont l’objet et l’impact écologique sont vérifiés en amont et en aval, régulièrement, sur la base de standards transparents (2).
Comme les prêts verts relèvent d’engagements volontaires et privée et qu’il n’y a pas de règles nationales contraignantes à ce sujet, le respect des Green Loan Principles est laissé au bon vouloir des parties au contrat de financement.
Le principe du sustainability linked loan
Les sustainability-linked loans (SLL) ou prêts à impact peuvent être définis comme des instruments de crédit octroyés à des emprunteurs et dont le prix (taux d’intérêt) est évolutif en fonction de la performance de l’emprunteur en termes ESG.
Ils sont aussi appelés « ESG-linked loans« , soit des prêts en lien avec les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. A la différence des prêts verts, les SLL ne sont pas octroyés pour financer un projet directement en lien avec la transition écologique – toutefois, il n’est pas exclu qu’un prêt vert soit aussi sustainability-linked. En français, ils peuvent être nommés « crédits à impact » ou « crédits bancaires durables » (3).
Les SLL ont aussi fait l’objet de principes et de lignes directrices sous l’impulsion des associations susmentionnées. Ce sont des instruments plus récents que les prêts verts. Les premières émissions recensées auraient eu lieu en 2017 (3). A nouveau, une grande liberté est laissée à l’emprunteur et au(x) prêteur(s) pour déterminer les termes dans lesquels le taux d’intérêt sera affecté par la réalisation d’objectifs durables.
A quelles règles doit répondre un sustainability-linked loan pour être considéré comme tel ?
Les Sustainability-Linked Loans Principles reposent sur cinq piliers : la sélection des KPI (I), le calibrage des SPT (II), les caractéristiques du prêts (III), le reporting (IV) et la vérification des déclarations de l’emprunteur (V).
En effet, l’utilisation des fonds par l’emprunteur n’est pas un critère pertinent pour les SLL, l’enjeu est sur ses performances ESG. L’emprunteur devra prouver aux prêteurs que ses efforts en matière de durabilité sont suffisants pour débloquer le droit à un un taux d’intérêt inférieur et donc un coût plus favorable du crédit. Le reporting est donc d’autant plus important que c’est que sur la base des déclarations de l’emprunteur, et de leur vérification, que la modulation du taux d’intérêt est décidée. Cette vérification est externalisée par la banque, probablement aux frais de l’emprunteur, à un auditeur (consultant, agence de notation…) (4).
KPI, SPT, c’est quoi la différence ?
Les Key Performance Indicators (KPI) et Sustainability Performance Targets (SPT), en français respectivement « Indicateurs Clés de Performance » et « Cibles de Performance de Durabilité » représentent la manière dont les objectifs de durabilité de l’emprunteur d’un SLL sont fixés en amont.
Les KPI sont des catégories en lien avec des thématiques ESG ou de développement durable, par exemple l’efficacité énergétique, les émissions de gaz à effet de serre, la sécurité des employés ou l’éthique des affaires. Au sein de ces KPI, des indicateurs précis correspondant à l’activité et aux préoccupations et ambitions de l’emprunteur sont sélectionnés : ce sont les SPT (4).
Par exemple, en choisissant le KPI « efficacité énergétique », le SPT correspondant pourrait être le renouvellement de X% de l’isolation du parc immobilier de l’emprunteur chaque année. Le KPI « éthique des affaires » pourrait avoir comme SPT la formation de X centaines d’employés par en aux problématiques de la lutte anti-corruption.
Un cadre de soft law et quelques questions de droit en suspens
La prise en compte des enjeux écologiques et sociaux dans le monde des affaires soulève la question de la matérialité des engagements ESG pris par les entreprises. Les praticiens et la doctrine relèvent que, pour le moment, la mesure et la publication des performances ESG (ou « extra-financières ») souffrent de l’absence d’un cadre commun et harmonisé au niveau régional et international (3 ; 5 ; 6).
Au niveau européen, l’harmonisation du référentiel concernant l’investissement sur les marchés financiers est au cœur des règlements Disclosure, et Taxinomie (7 ; 8). Toutefois, ce cadre légal ne s’applique pas dans le cas de prêts octroyés par des établissements de crédit.
La mesure des performances ESG
De fait, la fiabilité des mesures et de leur vérification n’est pas encore fermement acquise dans le cas de prêts verts ou à impact. Tout d’abord, des SPT qualitatifs sont plus difficiles à mesurer que des SPT quantitatifs, sauf à prévoir dans le contrat de crédit à la fois la manière dont les objectifs devraient être atteints et précisément la manière dont leur réussite sera évaluée (9). De plus, leur vérification des performances environnementales (SLL), ou de l’affectation des fonds (prêts verts) par une agence de notation pose une question de conflit d’intérêts, notamment si l’agence est rémunérée par l’emprunteur.
Nature et portée de l’obligation imposée à l’emprunteur d’un prêt vert ou durable
La question de la nature des obligations prisent par l’emprunteur et de la sanction d’un manquement contractuelle ne permet d’affirmer avec certitude que ces instruments de crédit ont « par nature » un effet positif sur les indicateurs ESG.
Pour le moment, la force obligatoire des chartes éthiques et des codes de conduite portant sur le développement durable et publiés par les entreprises de leur plein gré est quasi-nulle (10 ; 11). Cela signifie qu’il n’est pas possible de demander à une entreprise de respecter le contenu de son code de conduite, ou de la pénaliser en cas de défaillance manifeste. L’entreprise se fixe alors ses propres règles, tout en décidant d’en sanctionner ou non les manquements.
A l’inverse, les prêts verts et SSL créent un droit dont les prêteurs peuvent se prévaloir contre l’emprunteur, devant des juridictions en cas de litige. Sans avoir recours à un juge, le contrat peut déjà prévoir des manières de sanctionner un manquement aux stipulations à vocation socio-environnementale.
Par exemple, si les fonds d’un prêt vert ne sont pas utilisés pour un Projet vert, les prêteurs pourraient demander le remboursement immédiat du prêt. De même, si un emprunteur ne parvient pas à atteindre ses objectifs SSL, voire les ignore, il est sanctionné par un taux d’intérêt plus élevé.
Dans les deux cas, la sanction vise à réduire le risque subit par les créanciers. Toutefois, le dommage porté par la société et/ou l’environnement n’est pas automatiquement réparé par de telles stipulations. Si une pollution est causé dans le cadre de l’utilisation des fonds, le remboursement anticipé ne résoudra en rien le préjudice écologique subi, surtout si le débiteur connaît des difficultés économiques des suites de cette exigibilité anticipée.
Enfin, le rôle des prêteurs, notamment des banques, est intéressant car ceux-ci se retrouvent à encourager et vérifier la mise en place de politiques ESG au sein d’une entreprise. Le fait d’imposer de strictes obligations de résultat (faire, ne pas faire, informations régulières) aux emprunteurs est courant dans la pratique des contrats de financement. Le risque d’immixtion, c’est-à-dire d’être considéré comme dirigeant de fait, à ce titre, est limité voire inexistant, pour le prêteur (12). Comme ces politiques ESG peuvent impliquer la prise de décision stratégique, il est possible que cette question se pose à nouveau pour des enjeux extra-financiers, avec en toile de fond la responsabilité (sociale et juridique) du prêteur pour l’utilisation des fonds octroyés.
Sources (entre autres)
(1) V. Mercier, « La crédibilité des green bonds nécessite un encadrement normatif du marché » BJB janv. 2017, n° 116n2, p. 39, para. 1 et 2.
(2) LMA, LSTA, APLMA, Green Loan Principles, Décembre 2018.
(3) C. Branchereau & P. Thomas, « L’avènement des covenants ESG », RDBF, Octobre 2019, étude 14, para.5.
(4), LMA, LSTA, APLMA, Sustainability-Linked Loans principles, Mai 2021.
(5) V. Mercier, op. cit., para. 3 et 4
(6) En matière de placements collectifs, l’Autorité des Marchés Financiers a publié une première doctrine en mars 2020 pour préciser les bonnes pratiques tout en protégeant la clientèle de la communication relevant du green washing : AMF, DOC-2020-03 « Informations à fournir par les placements collectifs intégrant des approches extra-financières ».
(7) Règlement (UE) 2019/2088 du Parlement Européen et du Conseil du 27 novembre 2019 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)
(8) RÈGLEMENT (UE) 2020/852 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088
(9) Sur les différents rôles des agences de notation extra-financière : C. Branchereau & P. Thomas, op.cit., para.17 à 20.
(10) F.G. Trébulle, Rép. Dalloz sociétés, para.50 : « Comme cela avait très bien été mis en évidence, pour que l’engagement unilatéral de volonté puisse effectivement transformer l’obligation naturelle en obligation civile, il faut que son auteur manifeste la volonté de s’obliger (…). Or en règle générale, l’adhésion à une démarche de « Responsabilité sociale des entreprises », la promulgation d’un code de conduite ou d’une charte éthique ne semble pas répondre à cette exigence : les entreprises prenant la peine de préciser qu’elles n’entendent pas souscrire d’engagement juridique. Cet argument est fort mais ne paraît pas déterminant. »
(11) Cour d’appel de Versailles, 22 mars 2013, n° 11/05331.
(12) Voir par exemple : Cass. com. 21 nov. 2018, n°17-21.025.