En juin 2022, la société DWS, un gestionnaire d’actifs appartenant au groupe allemand Deutsche Bank a été perquisitionnée. DWS était soupçonné d’avoir trompé ses investisseurs en ayant recours à du greenwashing, ou « éco-blanchiment ».
Cette affaire peut être lue sous le prisme de la lutte contre le greenwashing, mais aussi sous celui des lanceurs d’alerte.
En effet, les autorités se sont saisies de l’affaire après que Desiree Fixeler, l’ex-responsable « durabilité » de DWS, ait dénoncé DWS dans la presse [1] [2]. Ces allégations ont été prises au sérieux par les autorités allemandes si bien qu’une enquête est désormais en cours.
En quoi l’affaire DWS est-elle porteuse de leçons tant sur le sujet du greenwashing que celui des lanceurs d’alerte ?
It’s not necessarily that DWS has wrongly defined what ESG-compliant investments are, but rather it’s about misrepresentation, the difference between what the company says internally and what it says externally.
Extrait de l’interview donnée par Desiree Fixler dans le Spiegel et paru le 1er septembre 2021
Sur le greenwashing : un cas concret dans le monde de la finance
DWS est soupçonnée d’avoir faussement présenté des investissements comme ayant un caractère « ESG ».
Pour s’adapter aux attentes des investisseurs, DWS a mis en place une offre labellisée « ESG », c’est-à-dire sensée prendre en considération des éléments à caractère Environnemental, Social et/ou de Gouvernance. DWS avait publié dans son rapport annuel de 2020 que la moitié de ses actifs était investie en prenant en compte des critères ESG. Désigner un investissement comme « ESG » sur le prospectus peut être un élément de différenciation susceptible d’attirer les investisseurs, et donc un moyen additionnel de réaliser un profit.
C’est pourquoi les allégations de Mme Fixler ont pu attirer l’attention des régulateurs financiers américain puis allemand. Desiree Fixler s’était d’abord tournée vers la Securities and Exchange Commission (SEC) et le Federal Bureau of Investigation (FBI) à l’été 2021. La SEC avait alors commencé à enquêter[3], suivie en mai 2022 par le régulateur financier allemand (BaFin).
En l’occurrence, les procureurs allemands ayant effectué des mesures d’instruction chez DWS ont déclaré qu’il était déjà possible de constater les critères ESG n’étaient pas pris en compte dans la majorité des produits concernés, alors même que les prospectus édités par DWS indiquaient le contraire[4]. La fraude pourrait être avérée.
Les sanctions qui pourraient être prononcées si une infraction était constatée incluraient l’obligation de modifier la description des fonds mais aussi le paiement de dommages-intérêts aux investisseurs trompés[5]. DWS n’a pas été condamné pour le moment [juillet 2022].
La sanction des marchés est déjà tombée : le cours de l’action de DWS a chuté de 15% lors de la révélation des investigations allemandes puis américaines. En juillet 2022, l’action vaut 35% de moins ce qu’elle valait en août 2021.
Sur les lanceurs d’alerte : l’importance de la crédibilité en interne
Desiree Fixler est une lanceuse d’alerte. Embauchée en tant que responsable RSE chez DWS, elle dit avoir alerté le comité exécutif de l’inadéquation des déclarations de DWS sur leur engagement ESG avec la réalité des actifs. Licenciée, elle n’est pas resté un an dans l’entreprise.
Si cela s’était produit en France[6], aurait-elle pu directement se saisir des médias pour lancer l’alerte, même après son licenciement ?
Après tout, les lanceurs d’alerte y seront davantage protégés à compter du 1er septembre 2022, date d’entrée en vigueur de la loi du 21 mars 2022[7] qui transpose la directive européenne sur les lanceurs d’alerte[8].
1. Saisir les médias avec des informations sensibles
A partir du 1er septembre 2022, la hiérarchisation des canaux d’alerte devant être utilisés par tout lanceur d’alerte est assouplie.
Une personne voulant bénéficier du statut de « lanceur d’alerte » ne peut toujours pas divulguer publiquement les informations concernées en saisissant directement les médias. La loi actuelle impose au lanceur d’alerte de passer par le supérieur hiérarchique, puis de se tourner vers une autorité externe (judiciaire, administrative, ordinale) en l’absence de traitement par l’employeur.
La loi de 2022 prévoit deux canaux alternatifs[9] :
- Le signalement interne via la procédure interne d’alerte existant dans l’organisation ; ou
- Le signalement externe à l’autorité compétente, au défenseur des droits ou à l’autorité judiciaire, voire à une entité de l’Union Européenne.
Mme Fixler aurait pu alors lancer l’alerte en interne (ce qu’elle dit avoir fait), ou saisir une autorité externe.
En l’absence de mesures appropriées à son signalement en interne, et seulement à l’expiration d’un délai[10], Desiree Fixler aurait pu divulguer l’information aux médias. Il n’y a pour le moment pas de contentieux mené contre elle du fait de ses révélations.
2. Lancer l’alerte après son licenciement
La catégorie de personnes pouvant bénéficier du statut de lanceur d’alerte inclura, à compter du 1er septembre 2022 les « personnes dont la relation de travail s’est terminée ».
Par conséquent, ce n’est pas en licenciant un employé sceptique que l’on peut « le faire taire ». D’ailleurs, un tel licenciement pourrait être considéré comme une mesure de représailles. La charge de la preuve incombera alors à l’employeur, devant prouvé que sa décision (par ex. : licenciement) était dûment justifiée[11]. La sanction consistera en la nullité de l’acte de représailles.
Ainsi, Mme Fixler aurait pu être protégée par le statut de lanceur d’alerte, même après son licenciement, à condition de respecter les étapes de signalement prévues par la loi.
Conclusion
Les entreprises utilisant l’ESG ou encore la « neutralité carbone » comme argument commercial doivent avoir conscience qu’en cas de distorsion entre l’image qu’elles renvoient et la réalité, un litige peut naître :
- en externe, dans la mesure où des associations, des activistes et les autorités peuvent porter un regard critique sur ces allégations jusqu’à entraîner un contentieux[12] ; et/ou
- en interne, car des employés désabusés peuvent se transformer en lanceurs d’alerte déterminés.
Références
[1] Bartz ,T., „The Sustainability Propaganda Got Completely Out of Control”, Spiegel International, 1er septembre 2021, [en ligne].
[2] Podcast Financial Times “Blowing the whistle on ESG”, 8 juin 2022 [en ligne].
[3] Kowsmann, P., Ramey, C., Michaels, D., “U.S. Authorities Probing Deutsche Bank’s DWS Over Sustainability Claims”, The Wall Street Journal, 25 août 2021 (en ligne).
[4] Sims, T., Siebelt, F., Carrel, P., Reuters, June 1 2022: “German prosecutors said that ‘sufficient factual evidence has emerged’ to show that ESG factors were taken into account in a minority of investments ‘but were not taken into account at all in a large number of investments’, contrary to statements in DWS fund sales prospectuses.”
[5] « DWS shares slide after greenwashing claims prompt BaFin investigation”, Financial Times, 26 août 2021, [en ligne].
[6] En juillet 2022, l’Allemagne n’a pas encore transposé la directive européenne 2019/1937 sur les lanceurs d’alerte. La date butoir fixée par la directive était le 17 décembre 2021.
[7] Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.
[8] Directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.
[9] Article 3 de la loi 2022-401, introduisant un article 8, I à la loi Sapin 2.
[10] Délai devant être précisé par décret ; Article 3 I, 2° de la loi de 2022 sur les lanceurs d’alerte, modifiant l’article 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi « Sapin II »)
[11] Article 6 de la loi 2022-401, introduisant un article 10-1, III à la loi Sapin 2.
[12] Voir par exemple les différents contentieux « greenwashing » en France.