Note : cet article est issu d’un mémoire rédigé en juin 2022. Il a été mis à jour pour être publié sous forme de série à partir d’octobre 2022 sur mon site.
La diversité en entreprise ne peut pas être mise en œuvre sans prendre en compte l’inclusion de chacun et de chacunE. Cela vaut pour les équipes de direction, dont l’exemplarité est supposée pouvoir faire évoluer la culture d’entreprise dans son ensemble (« tone at the top« ).
Depuis 2011, la France fait partie des pays pionniers en matière de promotion du rôle des femmes dirigeantes dans les entreprises. Ce cadre juridique existant, avec les effets positifs en matière « d’égalité des sexes » qu’il a portés, n’est pas une fin en soi.
En effet, les objectifs de parité Hommes/Femmes au sein des équipes de direction (cadres, CA/COMEX) ne sont imposés qu’à une minorité d’entreprises. Rien n’empêche toutefois toute entreprise hors du champ d’application de mener une réflexion pour appliquer les seuils prévus par la Loi Coppé-Zimmerman et/ou la Loi Rixain.
Le cadre juridique existant permet d’amorcer une réflexion, et des actions, pour la promotion diversité des dirigeants dans toute organisation. La diversité dans les équipes de direction des entreprises françaises n’est abordée juridiquement que sous l’angle de la parité hommes/femmes. Si une entreprise veut commencer quelque part en matière de diversité des dirigeants, il est donc pertinent de s’intéresser aux obligations juridiques existantes.
L’objectif de cet article est de montrer que grâce aux multiples rôles de direction présents en entreprise (administrateur, membre du COMEX/CODIR, cadres du TOP50/100/200…), et au cadre juridique existant, il est possible de pousser pour une distribution de ces rôles parmi les Hommes et Femmes qui allie égalité des chances et parité dans le respect des lois.
Définition juridique des dirigeants
Ce préambule vise à clarifier les notions « d’équipes de direction » et « d’instances dirigeantes » (1). Ces explications complémentaires permettent de s’approprier les termes des enjeux concernés qui sont juridiques, économiques mais aussi sociétaux.
D’une part, la notion « d’instance dirigeante » a été intégrée dans le Code de commerce français le 23 décembre 2021 à l’entrée en vigueur de la loi dite « Rixain ». Il s’agit de :
« toute instance mise en place au sein de la société, par tout acte ou toute pratique sociétaire, aux fins d’assister régulièrement les organes chargés de la direction générale dans l’exercice de leurs missions. »
Définition de « l’instance dirigeante » – Article L.23-12-1 du Code de commerce.
Elle complète la notion de « cadres dirigeants » figurant dans le Code du travail; Cette dernière vise :
« les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. »
Définition de « cadre dirigeant » – Article L.3111-2 du Code du travail.
D’autre part, la notion « d’équipe de direction » n’est pas définie par la loi. Des commentaires jurisprudentiels suggèrent que cette notion, beaucoup plus souple, peut englober à la fois la direction de la société, les « instances dirigeantes » au sens de la Loi Rixain, ainsi que l’actionnariat de la société.
Ainsi, dans cet article :
- Les termes « équipe de direction » et « cadres dirigeants » seront utilisés de manière générale pour désigner les personnes (directeur, administrateur, membre du comité exécutif (COMEX), du comité de direction (CODIR)…) et les organes (conseil d’administration (CA), COMEX…) occupant des fonctions stratégiques et disposant d’un pouvoir de décision significatif dans une société.
- Le terme « instance dirigeante » sera utilisé uniquement en référence à la Loi Rixain et pour désigner les comités stratégiques ad hoc pouvant être établis dans une société pour aider à la prise de décision.
La diversité au sein de ses organes de direction : Loi Copé-Zimmerman
Comment améliorer de la diversité des conseils d’administration ou de surveillance des sociétés qui en sont dotées ?
En 2011, la loi dite « Copé-Zimmerman » a imposé à certaines entreprises, principalement aux sociétés cotées, aux ETI et aux Grandes Entreprises (2) une relative parité hommes-femmes au sein du conseil d’administration ou de surveillance (3).
Qui est concerné par la Loi Copé-Zimmerman ? : loi Copé-Zimmerman s’applique aux entreprises (i) aux sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé (sociétés côtées) et (ii) aux sociétés qui (pour le troisième exercice consécutif) emploient un nombre moyen d’au moins cinq cents salariés permanents et présentent un montant net de chiffre d’affaires ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros.
Règle applicable : une entreprise se conformant à la Loi Coppé-Zimmerman doit avoir au moins 40% d’administrateurs représentant les sexes féminin et masculin. Cela a pour conséquence d’entraîner une certaine parité aux seins des organes de direction des sociétés assujetties (voir ci-dessous).
Aller plus loin : toute société peut choisir que des hommes et des femmes soient représentés à parité au sein de son conseil d’administration, même si la Loi Coppé-Zimmerman ne s’applique pas à sa situation. Les gros organismes à but non-lucratif (associations, fondations) qui ont également un conseil d’administration pourrait aussi décider de s’imposer une telle règle de parité.
La diversité au sein de ses instances dirigeantes : Loi Rixain
La Loi Rixain a été adoptée en partant de deux constats :
- La Loi Coppé-Zimmerman a permis d’obtenir une meilleure représentation des femmes au sein des conseils d’administration des sociétés concernées – soit 46% de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés du CAC 40 (4) ;
- Les femmes restaient sous- voire non-représentées au sein des instances dirigeantes.
Qui est concerné par la Loi Rixain ? : la Loi Rixain s’applique aux entreprises qui emploie au moins mille salariés pour trois exercices consécutifs. Sont concernées les Grandes Entreprises (287 en 2018), une partie des ETI (5800 en 2018), mais pas les nombreuses PME (140 000 en 2018) (5). Autrement dit, 4,5% des entreprises sont visées par la Loi Rixain, plus que pour la Loi Copé-Zimmerman qui ciblaient environ 2000 entreprises, soit 1,4% de leur total (6).
Règle applicable : la Loi Rixain impose une proportion de 30% de personnes de chaque sexe parmi les cadres dirigeants et les instances dirigeantes d’ici 2027, puis de 40% à compter de 2030. A compter du 1er mars 2030, toute entreprise récalcitrante disposera d’un délai de deux ans avant d’être sanctionnée pour le non-respect de ce quota par la suspension des versements des jetons de présence et la nullité des nominations réalisée en violation de la Loi.
Aller plus loin : toute entreprise qui souhaite améliorer la diversité parmi ses équipes de direction peut choisir de s’imposer progressivement, mais sans attendre 2027 ou 2030, la proportion de 30% puis de 40% de femmes au sein des instances dirigeantes fixée par la Loi Rixain. En l’absence d’instances dirigeantes, cet objectif peut être fixé pour les seuls cadres dirigeants.
Améliorer la diversité au sein de ses équipes de direction : Codes AFEP-MEDEF et Middlenext
Les codes de gouvernance, qui proposent des bonnes pratiques et ne sont pas contraignants, donnent des clés pour améliorer la diversité en entreprise. A la différence des lois qui pourraient être appréciées avec scepticisme par ceux que le critère éthique n’émeut guère, les recommandations de l’AFEP, du MEDEF, et de Middlenext, ne devraient pas pouvoir être interprétées comme un programme politique « anti-entreprise » vue la nature de ces prescripteurs.
Qui est concerné par ces codes ? : le code AFEP-MEDEF, ainsi que le code Middlenext (7) sont des références pour les sociétés cotées, mais pas seulement. Dans la préface de l’édition publiée en 2021 du code Middlenext, la directrice générale Mme Caroline Weber se réjouit de voir des entreprises de toutes tailles, cotées ou non, adopter ce texte de « droit souple ».
Une entreprise se doit de veiller à l’absence de discrimination et à la représentation de la diversité : genres, âges, handicaps, qualifications et expériences professionnelles.
Extrait de la recommandation n°15 du code Middlenext publié en 2021.
Les rédacteurs du code précise prescrivent une politique visant d’une part à l’équilibre femmes-hommes, et d’autre part à l’équité, au-delà de la loi, tout en tenant compte du « contexte métier ». Cette recommandation vise principalement les organes de direction, mais s’étend « à chaque niveau hiérarchique de l’entreprise ».
Chaque conseil [d’administration] s’interroge sur l’équilibre souhaitable de sa composition et de celle des comités qu’il constitue en son sein, notamment en termes de diversité (représentation des femmes et des hommes, nationalités, âge, qualifications et expériences professionnelles…).
Article 6.2 du code AFEP-MEDEF publié en 2020.
Aller plus loin : toute entreprise souhaitant améliorer la diversité au sein de ses équipes de direction peut tirer deux enseignements des codes de gouvernance AFEP-MEDEF et Middlenext : (1) toutes « les diversités » doivent être prises en compte, et (2) la diversité doit s’appliquer à tous les échelons de gouvernance. Ces codes proposent des principes de bonne gouvernance reconnus source de légitimité en France mais aussi à l’international.
Conclusion
Le cadre juridique existant pour favoriser la parité Hommes/Femmes au sein des instances dirigeantes fait de la France une « bonne élève » en Europe et dans le Monde. Ce cadre est fondé sur une certaine idée de l’égalité des chances, ce qui devrait inciter même les entreprises non concernées par les Lois Copé-Zimmerman et Rixain à repenser leur système de promotion des talents féminins. Une entreprise gagnerait à recruter les meilleurs candidat(e)s sur la base de critères objectifs (réussites concrètes, années d’expériences, compétences techniques, etc.) plutôt qu’au travers de biais et préjugés qui ont longtemps tenu la moitié de l’Humanité à l’écart des postes de direction (feu la Reine d’Angleterre ne compte pas).
En ouverture, il faut rappeler que la diversité ne se résume pas à l’égalité Hommes/Femmes : âge, personnes en situation de handicap, nationalité, origine sociale et culturelle… sont tant de critères de diversité, et de source de discrimination au travail. Et pour lutter contre les plafonds de verre et agir sur cette diversité, il faut pouvoir la connaître sans préjugés, grâce à sa mesure. Sans basculer dans une politique de quotas systématique, la réflexion permet de s’attaquer à une meilleure représentativité des personnes à tous les échelons de gouvernance des entreprises, voire du pays.
Sources
(1) Voir par exemple le commentaire de B. Dondero d’un arrêt Cass. soc., 10 avr. 2013, no 11-25841 dans BJS juin 2013, n° JBS-2013-0196, p. 407.
(2) Entreprises de taille intermédiaire (ETI) : entreprise qui a entre 250 et 4 999 salariés, et soit un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 1,5 milliard d’euros, soit un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros. Une entreprise qui a moins de 250 salariés, mais plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 43 millions d’euros de total de bilan est aussi considérée comme une ETI. Les ETI constituent une catégorie d’entreprises intermédiaire entre les PME et les grandes entreprises. Il s’agit de l’une des quatre catégories d’entreprises définies par la loi (article 51 de la loi de modernisation de l’économie) pour les besoins de l’analyse statistique et économique.
Grandes entreprises (GE) : entreprises ayant au moins 5 000 salariés. Une entreprise qui a moins de 5 000 salariés mais plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires et plus de 2 milliards d’euros de total de bilan est aussi considérée comme une grande entreprise.
(3) Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle
(4) Voir le rapport sénatorial paru en 2021 et intitulé Parité en entreprise : pour de nouvelles avancées, dix ans après la loi Copé-Zimmermann, consultable en ligne.
(5) Petites et moyennes entreprises (PME) : cette catégorie est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes, et qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros.
(6) 6800/146800 ≈ 0,046 ; 2000/146800 ≈ 0,014
(7) Middlenext est l’association professionnelle française indépendante exclusivement représentative des valeurs moyennes cotées.