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Les obligations de transparence du lobbying européen : limites et opportunités

« Les députés au Parlement européen s’interdisent, dans l’exercice de leurs fonctions, d’accepter des cadeaux ou avantages similaires autres que ceux ayant une valeur approximative inférieure à 150 EUR offerts par courtoisie ou ceux qui leur sont offerts par courtoisie lorsqu’ils représentent le Parlement à titre officiel. » [Article 5 du Code de conduite des députés au Parlement européen]

Les cadeaux reçus par les députés du Parlement européen (« PE ») sont encadrés car ils peuvent les mettre dans une situation de conflits d’intérêt, voire les conduire à agir de manière répréhensible pénalement.

En effet, les députées du PE sont des personnes sollicitées : leur pouvoir de décider de l’orientation de la politique de l’Union européenne (« l’UE ») en fait des alliés de choix pour ceux qui représentent et défendent des intérêts privés affectés par les institutions européennes. C’est aussi le cas des membres de la Commission européenne (la « Commission ») et du Conseil de l’UE.

C’est pourquoi les relations entre ces représentants d’intérêts (ou « lobbyistes) et les institutions européennes ont été organisées progressivement. Fin 2022, un scandale de corruption de députés du PE a fait s’élever des voix réclamant un cadre plus strict et plus transparent pour l’activité des représentants d’intérêts, qu’il s’agisse d’intérêts privés ou étatiques (1)

Comment faire du lobbying transparent au sein de l’UE ? En quoi cela ne sera-t-il peut-être bientôt plus une option ?

I. Les limites du registre de transparence des représentants d’intérêts

Les institutions de l’Union européenne se sont dotées d’un registre de transparence en matière de représentation d’intérêts pour la première fois en 2011. En décembre 2022, le texte de référence est l’Accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne (« l’AAI ») (2).

Un registre de transparence (presque) obligatoire

Le registre de transparence pour les représentants d’intérêts agissant auprès des institutions européennes existent depuis 2011 (3). Auparavant, il existait des systèmes d’enregistrement dont les premières initiatives avaient été lancées en 1996. Au moins depuis 2011, les personnes morales ou physiques exerçant une activité de représentants d’intérêts sont « censés » s’inscrire dans le registre de transparence.

Représentant d’intérêt désigne « toute personne physique ou morale, ou tout groupe, association ou réseau, qu’il soit formel ou informel, qui participe à des activités couvertes »

Article 2, a) de l’Accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence obligatoire

Le registre de transparence peut être consulté en ligne.

Pour s’inscrire dans le registre de transparence de l’UE, le représentant d’intérêt doit communiquer des informations d’ordre général et financier. En ce qui concerne les informations générales, le représentant d’intérêt doit, entre autres, préciser la nature des intérêts qu’ils représentent, ainsi que le nombre de personnes participant aux activités de lobbying. Les textes sur lesquels les lobbyistes veulent influer doivent également être identifiés au sein du registre, ainsi que leur participation aux groupes d’experts de la Commission, ou encore aux intergroupes ou aux activités non-officielles organisées par des membres du Parlement européen. Enfin, l’inscription aux registres impose de révéler le coût des activités de représentation d’intérêts, mais aussi les recettes générées par celles-ci. Le secrétariat du registre peut effectuer des contrôles et obtenir des modifications des informations si elles ne paraissent pas conformes à la réalité.

Néanmoins, il est encore possible de réaliser des activités de représentations d’intérêts sans être inscrit dans le registre de transparence européen. Cela tient à la nature des activités pratiquées par le représentant d’intérêts.

Des activités d’influence soumises à enregistrement

L’inscription dans le registre de transparence est ouverte à tous les représentants d’intérêts réalisant des « activités couvertes ». Néanmoins, le fait de réaliser des activités couvertes n’implique pas une obligation d’inscription au registre. Ce sont les institutions européennes signataires de l’AII qui décident quelles activités sont possibles sous réserve d’inscription au registre.

Ainsi, l’inscription au registre de transparence est en principe facultative, et par exception obligatoire.

Les activités couvertes sont des activités qui permettent de déterminer si une personne est éligible à l’inscription dans le registre de transparence de l’UE (Cf. définition ci-dessus). Il s’agit d’activités exercées par les représentants d’intérêts dans le but d’influencer l’élaboration ou la mise en œuvre des politiques ou de la législation, ou les processus décisionnels des institutions de l’UE et notamment :

  • Organiser de conférences ou y participer, ou bien établir des contacts similaires avec les institutions de l’Union ;
  • Contribuer à des consultations, à des auditions.
  • Mettre sur pied des campagnes de communications.
  • Élaborer des documents d’orientation, des enquêtes d’opinion, ou réaliser des travaux de recherche (4).

La nouveauté de l’AII de 2021 est d’instaurer un principe de conditionnalité selon lequel l’inscription dans le registre est une condition préalable à l’exercice de certaines activités couvertes dont la nature doit être précisée par les institutions concernées. Figurent notamment parmi les activités couvertes soumise au principe de conditionnalité de l’enregistrement préalable :

  • Rencontrer des commissaires européens et des membres de leur cabinet.
  • Rencontrer le secrétaire général et les directeurs généraux du secrétariat général du Conseil européen (Article 3 de la décision (UE) 2021/929 du Conseil du 6 mai 2021 relative à la réglementation des contacts entre le secrétariat général du Conseil et les représentants d’intérêts (en ligne))
  • Intervenir en tant qu’expert lors d’une audition publique au Parlement européen (Article 7 de la Décision du Bureau du Parlement européen du 18 juin 2003 sur les auditions publiques (en ligne) ou des groupes d’experts de la Commission européenne (Article 8(1) de la décision de la Commission du 30 mai 2016 établissant des règles horizontales relatives à la création et au fonctionnement des groupes d’experts de la Commission (en ligne).
  • Obtenir un titre d’accès longue durée au Parlement européen (article 123(3) du Règlement intérieur du Parlement européen (en ligne)

La liste des activités couvertes soumises à conditionnalité est disponible en ligne.

II. La difficile prévention des conflits d’intérêts

Le « Qatargate » est une illustration de l’échec de la prévention de la corruption au sein des institutions européennes. Les règles qui encadrent les relations entre les députées européens et les représentants d’intérêts, inscrits ou non dans le registre, devront trouver en équilibre en la liberté d’exercice des députés et l’objectif de prévention de la corruption et de l’influence délétères d’intérêts privés ou de pays tiers.

Liberté d’action des députés et gestion du risque de corruption

Les députés européens se prévalent d’une liberté d’action dans leur mandat. Les députés européens n’ont pas l’obligation de rencontrer uniquement des représentants d’intérêts inscrits dans le registre de la transparence. En effet, l’article 11(2) du Règlement intérieur du Parlement européen n’offre qu’une possibilité.

« Les députés devraient adopter la pratique systématique consistant à ne rencontrer que des représentants d’intérêts qui sont officiellement inscrits dans le registre de transparence établi par l’accord entre le Parlement européen et la Commission européenne »

Article 11(2) du Règlement intérieur du Parlement européen (en ligne)

Pareillement, les députés européens n’ont pour le moment pas l’obligation de déclarer toutes les réunions prévues avec des représentants d’intérêts, à la différence des rapporteurs, rapporteurs fictifs et des présidents des commissions.

« Les députés devraient publier en ligne toutes les réunions prévues avec des représentants d’intérêts qui relèvent du champ d’application du registre de transparence. Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 6, de l’annexe I, les rapporteurs, les rapporteurs fictifs et les présidents des commissions publient en ligne, pour chaque rapport, la liste de toutes les réunions prévues avec des représentants d’intérêts qui relèvent du champ d’application du registre de transparence. Le Bureau met à disposition l’infrastructure nécessaire à cet effet sur le site internet du Parlement. »

Article 11(3) du Règlement intérieur du Parlement européen (en ligne) (nous soulignons)

Par conséquent, les députés peuvent rencontrer des représentants d’intérêts même si ceux-ci ne sont pas enregistrés dans le registre de transparence, et ils peuvent le faire en toute discrétion, sans obligation de rendre des comptes. Il est possible que cette liberté fasse objet d’aménagement à l’avenir pour éviter les abus.

Diplomatie ou lobbyisme ? L’influence des pays tiers

Les personnes représentants les intérêts de pays tiers peuvent ne pas être considérées comme des « représentants d’intérêts » si elles se présentent comme membres du mission diplomatique, ce qui favorise l’opacité des tractations opérées auprès des institutions européennes.

En effet, la définition des activités couvertes mentionnées ci-dessus prévoit une exclusion, de manière assez floue, pour les activités gravitant autour de la diplomatie dans les termes suivants.

«  Le présent accord ne s’applique pas aux activités exercées par les organes suivants: (…)
d. les autorités publiques de pays tiers, y compris leurs missions diplomatiques et ambassades, sauf lorsque ces autorités sont représentées par des entités juridiques, des bureaux ou des réseaux sans statut diplomatique ou sont représentées par un intermédiaire ; »

Article 4, 2) d. de l’Accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence obligatoire

Ainsi, une personne qui souhaite éviter de se soumettre au régime des représentants d’intérêts devrait pouvoir le faire en rattachant son activité d’influence à celle d’une autorité publique, voire d’une mission diplomatique. Dans un article publié peu après la révélation du « Qatargate », le chercheur Alberto Alemanno proposait que les rencontres avec des représentants de pays tiers (diplomates ou non) soient systématiquement déclarées (5).

Conclusion

Suite au Qatargate, le lobbying auprès des personnes exerçant au sein des institutions européennes devraient faire l’objet d’un encadrement renforcé. Les représentants d’intérêts qui souhaiteraient se prémunir de toute suspicion peuvent déjà prendre les mesures suivantes, pour un lobbying européen éthique en 5 étapes :

  1. Réaliser un audit des missions réalisées auprès de personnes travaillant dans les institutions européennes (Parlement européen, Commission, Conseil de l’Union européenne).
  2. Qualifier les missions constituant des actions de représentations d’intérêts.
  3. Effectuer une déclaration au sein du registre de transparence de l’Union européenne.
  4. S’informer et se former aux règles en matière de cadeaux et invitations pour ne pas mettre les interlocuteurs dans une situation de manquement aux règles qui leur sont applicables.
  5. Ne pas rémunérer des personnes travaillant dans les institutions européennes, même si les règles qui leur sont applicables ne l’excluent pas expressément (par exemple, les collaborateurs de députés du Parlement européen)

Sources

(1) A la date de publication de cet article, plusieurs députés du PE dont l’une des Vice-présidentes du PE ont été arrêtés et écroués suite à des suspicions de faits de corruption. Ils auraient été corrompus non pas par des intérêts privés, mais par des agents d’un pays tiers : le Qatar. En l’occurrence, le « cadeau » réalisé serait d’au moins 1 million d’euros.
(2)Accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence obligatoire (en ligne).
(3) Accord interinstitutionnel entre le Parlement européen et la Commission européenne du 23 juin 2011 sur l’établissement d’un registre de transparence pour les organisations et les personnes agissant en qualité d’indépendants qui participent à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de l’Union européenne.
(4) Article 3 de l’AII de 2021.
(5) A. Alemanno dans « The Qatar scandal shows how the Eu has a corruption problem”, Politico, 11 décembre 2022, en ligne.

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