Le duty of care est une notion de droit common law. Le devoir de vigilance est un fondement juridique récemment entré dans le droit français à la faveur d’une loi qui fait tâche d’huile dans l’espace européen.
Le duty of care est un standard de conduite, une attente juridique quant au comportement d’un acteur, à l’aune duquel l’existence d’une faute de négligence, nécessaire à l’établissement de la responsabilité au titre du tort de negligence (1).
Sans entrer dans les détails, lors d’un contentieux le juge vérifie si une entreprise, par exemple, à un duty of care (« devoir de soin ») vis-à-vis d’une autre qui serait sa filiale (2). L’existence d’un duty of care est repéré grâce à un faisceau d’indices. Les éléments suivants sont pris en compte :
- la prévisibilité : l’entreprise mère avait-elle connaissance des risques de sorte qu’elle aurait dû en tirer des conséquences en matière de protection des droits humains ?
- la proximité : l’entreprise mère était-elle en mesure de décider de certaines politiques de groupe applicables à la filiale concernée ?
- l’équité : est-il raisonnable d’imposer un « duty of care » à l’entreprise mère vis-à-vis de sa filiale ?
Ainsi, le duty of care est une responsabilité de l’entreprise mère du fait dommageable de sa filiale vis-à-vis d’autrui.
Cette application du duty of care en matière de responsabilité de l’entreprise mère du fait dommageable de sa filiale ne coulait pas de source, même en droit anglo-saxon. C’est un choix de politique juridique qui vise à accroître le halo protecteur du droit au-delà des frontières du pays du siège social de l’entreprise. Ainsi, c’est sur le fondement du duty of care que le juge britannique a reçu la demande de personnes zambiennes affectées par la filiale de droit local, alors que ce duty of care n’était précédemment reconnu qu’au bénéfice des employés d’une filiale concernée.
Allons-nous vers une reconnaissance d’un duty of care en droit français ? Pas exactement !
En droit français, une personne peut être considérée responsable, au civil, lorsqu’une autre personne, sous sa supervision, cause un dommage portant préjudice à un tiers. Il s’agit de la responsabilité dite « du fait d’autrui » et « sans faute », ce qui signifie que la personne est responsable même si elle n’est pas fautive, du seul fait dommageable de la personne qu’elle supervise.
En matière de business and human rights, il s’agit de savoir si une entreprise mère localisée en France peut être reconnue responsable du fait dommageable d’une de ses filiales qui violeraient des droits humains, sur le fondement de cette responsabilité du fait d’autrui.
En 2021, une entreprise mère ne peut pas être condamné à payer des dommages-intérêts pour réparer des dommages causés par sa filiale. Cette éventualité est encore moins envisageable, pour le moment, en droit pénal. En effet, le principe de la responsabilité personnelle en droit pénal exclut la possibilité d’être condamné pour le méfait d’autrui. En outre, le droit des sociétés connaît un principe d’autonomie de la personne morale, qui suggère qu’une entreprise est indépendante d’une autre, même lorsqu’il s’agit d’une société mère et sa filiale.
C’est ce vide juridique qui est rempli par la Loi sur le devoir de vigilance. Le « devoir de vigilance » est désormais lié aux obligations nées de cette loi. L’entreprise doit établir et mettre en œuvre un plan de vigilance ; si elle échoue, elle est condamnée à des dommages et intérêts.
Ainsi, le devoir de vigilance n’introduit pas un principe de responsabilité du fait d’autrui, mais une responsabilité pour faute. Il ne s’agit pas de condamner la filiale pour sa violation de droits humains, mais de sanctionner l’entreprise mère qui n’a pas pris des mesures de prévention de ces violations.
Quel rapport avec la diligence ? L’inspiration mutuelle !
Le mot diligence apparaît tout d’abord dans les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme développés par les Nations Unies et publiés en 2011. Les acteurs économiques y sont encouragés à participer à la protection des droits humains par la mise en œuvre d’une due diligence ou « diligence raisonnable ».
La loi sur le devoir de vigilance a repris le caractère « raisonnable » de la vigilance devant être exercée par les entreprises.
La due diligence est connue des acteurs financiers et juridiques du domaine des fusions-acquisitions et du financement. Elle s’apparente à une recherche en profondeurs du contexte financier, comptable, juridique, mais aussi socio-environnemental d’une opération économique.
Les Principes directeurs indiquent que
Ce processus devrait consister à évaluer les incidences effectives et potentielles sur les droits de l’homme, à regrouper les constatations et à leur donner une suite, à suivre les mesures prises et à faire savoir comment il est remédié à ces incidences.
Principe directeur n°17, relatif aux entreprises et aux droits de l’Homme, Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies
Au cours des années 2020, ce devoir de diligence devrait évoquer de nouvelles choses, en raison de la future règlementation européenne. Même si celle-ci s’inspire de la loi française sur le devoir de vigilance, c’est le terme « devoir de diligence » qui été conservé à Bruxelles.
Quant au vocabulaire choisi pour la réglementation européenne, etonnamment, en anglais nous ne parlerons pas de « business due diligence », à l’instar du « business and human rights » mais de « corporate due diligence ».
Ces différents concepts, pas forcément traduisibles en français, ne doive pas être confondus car ils se rapportent à des textes et des juridictions différentes. Cet article avait pour objectif de clarifier, de manière schématique, la différence entre devoir de vigilance, devoir de diligence, et duty of care.
Retrouver les textes de référence en matière de BHR ici.
Retrouver l’actualité du devoir de vigilance ici.
Sources :
Parance, B ., Groulx, E., Chatelin, V., (Janvier 2018), Regards croisés sur le devoir de vigilance et le duty of care, Journal du droit international, doctr. 2, para.4.
Chandler c/ Cape plc [2012] EWCA Civ 525 (Royaume-Uni)
Caparo Industries Plc v Dickman [1990] 2 A.C. 605 (HL).
Vedanta v Lungowe [2019] UKSC 20 (Royaume-Uni).
La loi 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneurs d’ordre
Organisation des Nations Unies. Haut-Commissariat pour les Droits de l’Homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, 2011,