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Mesurer la diversité en entreprise – pour quoi faire ?

Note : cet article est issu d’un mémoire rédigé en juin 2021. Il a été mis à jour pour être publié sous forme de série à partir d’octorbre 2022 sur mon site.

C’est par la lutte contre la discrimination que la diversité est encouragée, voire imposée par le droit français. En entreprise, la diversité ne fait pas encore systématiquement l’objet d’une politique interne et/ou d’une publication annuelle, même si en matière d’égalité Hommes/Femmes et de handicap, des quotas ou des ratios de personnes en situation « moins favorable » sont imposés aux employeurs. Les grandes entreprises ont aussi l’obligation de rendre compte de la diversité, en matière d’égalité Hommes/Femmes, au sein d’un rapport sur le gouvernement d’entreprise.

La diversité est aussi une question de chiffres, de statistiques. Néanmoins, si la mesure du pourcentage de femmes dans une organisation est désormais admise, celle du nombre de personnes « d’origine étrangère » l’est beaucoup moins, en France. Pourtant, l’origine, la nationalité et la couleur de peau sont les facteurs principaux de ressenti de discrimination évoqués par les personnes habitants en France en 2019-2020 (le premier pour les hommes, le second pour les femmes qui soulèvent le sexisme en principal motif de traitement inégalitaire – source).

La pratique admet que la diversité soit mesurable, du moins au sein de sociétés internationales occidentales : dans le monde anglo-saxon, les sociétés publient désormais des rapports « Diversité & Inclusion » dans lesquels figurent des statistiques précises : pourcentage de femmes, catégories « ethno-raciales », origine sociale… Ces publications constituent une manière de se différencier et d’appréhender les attentes de clients et parties prenantes internationales. 

En France, la mesure de la diversité « ethno-raciale » n’est pas interdite, mais elle est très encadrée. Avant d’aborder le cadre juridique, il s’agit de mettre en avant les éléments au soutien de la mesure de la diversité. L’objectif principal n’est pas de catégoriser, mais de connaître pour mieux combattre la discrimination.

La donnée pour lutter contre les biais

Les inégalités persistantes dans le monde du travail sont bien souvent la résultante de biais inconscients. Les biais cognitifs sont des simplifications créées de manière non-intentionnelle par le cerveau pour faciliter la prise de décision (plus ici).

Pour changer les perceptions, il est essentiel de disposer de données. En effet, les chiffres ont le potentiel de mettre en lumière des phénomènes non soupçonnés ou sous-estimés. C’est d’ailleurs pour cela que la stratégie 2020-2025 anti-racisme, discrimination et xénophobie de la Commission européenne recommande à tous les États membres de se doter d’outils de mesures des données sur l’origine des personnes, dans le respect de leurs droits.

De manière générale, pour les problématiques de diversité, la collecte régulière de données apparaît comme un impératif permettant le suivi des objectifs. En outre, la collecte de nombreux types de données, et leur croisement, pourrait permettre de déterminer avec plus de certitude les causes de situations inégalitaires, de manière statistique. L’utilisation des données chiffrées pour se fixer des objectifs est parfois pertinent tant au niveau des politiques publiques contre la discrimination (par ex. : enquêtes de l’INSEE) qu’au niveau d’une politique Diversité & Inclusion en entreprise.

Le recueil de données sur les origines aux fins de lutte contre les discriminations dépassent pourtant le secteur public. Des enquêtes portant sur l’origine des personnes vivant en France (français et étrangers) sont réalisées de longue date par les instituts publics comme l’INSEE. Durant le premier mandat du Président Emmanuel Macron, un « Index de la Diversité et Inclusion » a été développé et proposé en phase de test à neuf entreprises entre 2020 et 2021 (source). En parallèle, des acteurs de la société civile comme le Club 21ème Siècle ou l’entreprise Mozaïk RH ont proposé des outils permettant aux responsables RH ou Diversité et Inclusion de « mesurer la diversité » au sein de leurs équipes, notamment au niveau des instances dirigeantes.

Faut-il alors déduire que la mesure de la diversité aboutira sur des quotas ethniques ? Après tout, il existe bien des quotas de femmes dans les instances dirigeantes et conseils d’administration des grandes entreprises.

La prudence qui sous-tend la mesure de la diversité doit se poursuivre dans la phase consécutive à la mesure. En effet, il est possible d’interpréter les chiffres de manière variée sans encadrement scientifique et éthique. Les quotas sont un sujet polémique, qui ne doivent pas empêcher toute réflexion. Si une entreprise compte 70% de personnes d’origine étrangère parmi ses ouvriers et employés, et 10% d’entre elles parmi ses cadres, il paraît sain de comprendre pourquoi ces personnes disparaissent le long de l’échelle hiérarchique, et, si possible de proposer des correctifs. Ainsi, de la même manière que ce qui est mis en place pour l’égalité hommes/femmes, on peut espérer que l’égalité des chances d’obtenir un poste en adéquation avec ses compétences sera réaffirmé en entreprise et dans la société.

Une part de scepticisme est également due à la conscience d’un cadre juridique protecteur des informations portant sur l’identité des individus.

La donnée, un élément de vie privée

Comment prendre en compte la diversité dans une organisation, alors que la diversité touche à l’essence même de l’individu ? Elle relève de l’intime, de la vie privée.

Depuis 2018, le Règlement Général pour la Protection des Données s’applique directement dans les Etats Membres de l’Union Européenne. En France, la CNIL est le bras armé de la législation sur la protection des données personnelles. En 2021, elle a imposé 18 amendes, pour un total de 224 millions d’euros. De plus, les données personnelles des français sont protégées depuis 1978 par la Loi Informatique & Libertés.

C’est pourquoi les entreprises doivent être vigilantes lorsqu’elles utilisent des données personnelles, même celles des employés et dirigeants, même pour un objectif vertueux comme « la diversité ». 

Ce sujet n’est pas nouveau. En 2007, la CNIL avait publié un rapport sur la mesure de la diversité et la protection des données personnelles. Un autre rapport, auquel avait contribué le Défenseur des droits en 2012, proposait un parcours fléché à destination des ressources humains des entreprises afin de « Mesurer pour progresser vers l’égalité des chances« . Désormais, les préoccupations liées à la cybersécurité s’ajoutent aux enjeux de diversité et de protection de la vie privée.

Ainsi, avec le grand pouvoir de la mesure de la diversité viendrait de grandes responsabilités. En effet, une telle politique interne devra être correctement conçue et exécutée afin de garantir le droit à la vie privée des personnes. Dans le cas contraire, l’entreprise s’exposera à une sanction pécuniaire pour manquement à la réglementation applicable, et n’échappera pas à un impact réputationnel négatif.

Le cadre juridique au regard de la protection des données personnelles est décodé dans une seconde partie.