Le 13 septembre 2022, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement pour interdire les produits tirés du travail forcé dans le marché de l’Union Européenne (1). Il s’agit d’une règlementation ambitieuse. Si des textes européens existent déjà dans le cadre de la lutte contre le travail forcé, il s’agit du premier règlement qui permet d’interdire l’entrée des produits manufacturés ou non dont la production ou l’extraction ont requis du travail forcé. Ce règlement sera complémentaire à la directive européenne sur le devoir de vigilance. A la différence de cette directive, le règlement s’appliquera pour toutes les entreprises de l’Union Européenne, y compris pour les TPE et ETI.
Objet du règlement
Le règlement prévoit une interdiction de rendre disponible sur le marché de l’Union Européenne des produits issus pour tout ou partie du travail forcé. L’exportation de tels produits est également interdite.
Personnes concernées par le règlement contre les produits du travail forcé
L’interdiction mentionnée ci-dessus vise les « opérateurs économiques », c’est-à-dire les personnes physiques ou morales qui importent ou exportent des produits dans ou hors de l’Union Européenne dans le cadre d’une activité commerciale. A la différence de la directive sur le devoir de vigilance, la proposition de règlement vise toutes les entreprises quelle que soit leur taille. Dans le cadre d’une enquête, l’autorité compétente est encouragée à prendre en considération les caractéristiques des TPE et des ETI (ensemble les « Small and Medium Enterprises » – SME) pour que les attentes du texte soient proportionnées à leur capacité à mettre en place un système de due diligence et de gestion des risques adaptés (2).
Une autorité compétente en devenir
Le projet de règlement prévoit qu’une « autorité compétente » soit responsable des analyses de risques, des enquêtes et de la prise de sanctions contre les produits dont il sera établi qu’ils sont issus du travail forcé. Le préambule au projet suggère que cette autorité compétente soit la même que l’autorité prévue par le projet de directive sur le devoir de vigilance européen (3). En tout état de cause, une telle autorité devra être établie dans un délai de deux mois à compter de l’entrée en vigueur du futur règlement (4). Le règlement devrait entrer lui-même en vigueur deux ans à compter de sa signature (5).
Évaluation des risques, enquêtes et sanctions
La décision d’enquêter
Le projet de règlement prévoit tout d’abord que l’autorité compétente soumette l’opérateur économique concerné à une analyse de risques basée sur plusieurs sources d’informations : les tiers, la Commission, une base de données commune, toute autre autorités compétentes ou pertinentes. Le texte prévoit pour le moment que l’opérateur économique visé ait 15 jours pour répondre à l’autorité compétente.
Tout opérateur économique a intérêt à mettre en place des procédures de due diligence, de cartographie des risques et de plans d’action pour mitiger ces risques. En effet, l’autorité compétente pourra demander d’obtenir toute information relative à des « actions prises pour identifier, prévenir, mitiger et mettre fin aux risques de travail forcé dans les opérations et sur la chaîne de valeur » des opérateurs économiques, TPE et ETI comprises, dont les « due diligence« . (6).
L’enquête
La phase d’enquête est ouverte si l’enquête préliminaire a soulevé une préoccupation fondée (« substantiated concern« ) que certains produits incluent du travail forcé. A cette étape, l’opérateur économique est averti de l’ouverture de l’enquête et de son périmètre.
Il faut noter que le projet de règlement prévoit la possibilité offerte aux autorités compétentes de mener leur enquête à l’étranger. Néanmoins, cela se ferait sous la double condition de l’accord de l’opérateur économique et de l’Etat concerné, ce qui devrait limiter l’usage de cette prérogative (7).
Les sanctions
Après une période d’enquête d’une durée « raisonnable », celle-ci doit rendre une décision. Cette décision est fondée sur les informations collectées en phase préliminaire et durant les enquêtes. Le texte précise qu’un défaut de conformité pourrait être établi en raison du manque de coopération de l’entreprise concernée – ce qui suppose une préparation en amont d’un tel contrôle pour les entreprises actives dans des secteurs à risques (8). C’est bien l’autorité de contrôle qui a la charge d’établir que les produits visés sont issus du travail forcé.
La décision de l’autorité compétente sanctionne directement les produits issus du travail forcé :
- L’interdiction d’importation et d’exportation ; et
- Le retrait des produits ayant déjà été commercialisés, ceci n’incluant pas le retrait auprès des consommateurs finaux ;
- Le cas échéant la destruction, la désactivation ou la mise à l’écart des produits (9).
L’opérateur économique disposera d’un délai pour se mettre en conformité avec la décision. Celui-ci-ne devra pas être inférieur à 30 jours, comme le propose le projet de règlement pour le moment (10). Si l’opérateur économique parvient à éliminer le travail forcé de sa chaîne de valeur, la décision est retirée, sans effet rétroactif (11).
L’opérateur économique visé pourra faire un recours devant l’autorité compétente pour faire retirer la décision prise. En fonction de la nature des produits, la procédure de recours pourrait durer entre 10 et 30 jours. Le projet de règlement prévoit également qu’un recours juridictionnel puisse être mené contre la décision de l’autorité compétente (12).
La décision est communiquée à la Commission, aux autorités compétentes européennes et aux autorités douanières européennes, ces dernières étant chargées de l’appliquer aux frontières (13). Les entreprises concernées devront être en mesure de fournir aux douanes des informations dont la liste sera précisée par actes de la Commission (nom, marque, n°de référence, manufacturiers/producteurs et fournisseurs impliqués, etc.). Lorsqu’une autorité douanière identifié un produit pouvant entrer dans le champ d’une décision d’autorité compétente, elle notifie cette dernière et suspend l’autorisation de circulation du produit dans le marché de l’Union (14). L’autorité compétente devra rendre un avis en quelques jours, qui confirmera ou non la suspension (15). Si le produit correspond au domaine de la décision, il devra être détruit, désactivé ou mis à l’écart, le cas échéant (16).
Que retenir du projet de règlement contre les produits du travail forcé ?
Toutes les entreprises sont concernées
Le projet de règlement a une portée plus ambitieuse que le projet de directive sur le devoir de vigilance : tout opérateur économique est concerné du moment qu’il importe ou exporte des biens dans ou hors de l’Union Européenne. Cela a pour conséquence d’imposer aux PME et ETI de se doter de procédures leur permettant de se soumettre à une enquête d’une autorité compétente de manière satisfaisante. La Commission devrait publier des lignes directrices pour aider les opérateurs économiques et les autorités compétentes à appliquer le règlement. Ces lignes directrices seront inspirées de celles publiées en 2021 par la Commission pour la prévention du travail forcé dans la chaîne d’approvisionnement. En outre, la Commission s’engage à constituer, d’ici la prise d’effet du règlement, une base de données publique sur le travail forcé en croisant les risques pays et produits. Enfin, la Commission rappelle que les autorités compétentes devront prendre en compte la taille et les ressources des entreprises objets de leurs enquêtes.
Interactions avec les directives sur le devoir de vigilance et sur le reporting durable
Le champ d’application du projet de règlement contre les produits du travail forcé vise précisément le contrôle de la supply chain des produits passant les frontières du marché de l’Union Européenne. En effet, la proposition de directive sur le reporting durable (CSRD), qui vise les entreprises de plus de 250 salariés, impose la publication d’informations détaillées relatives à la « durabilité » de l’entreprise relative (entre autres) au respect des droits de l’Homme. En ce qui concerne la proposition de directive sur le devoir de vigilance, celle-ci impose aux « grandes entreprises » et aux SME à hauts risques ou cotées de faire preuve d’un devoir de vigilance dans ces termes :
Les États membres veillent à ce que les entreprises fassent preuve d’un devoir de vigilance en matière de droits de l’homme et d’environnement (…) en prenant les mesures suivantes: intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques ; recenser les incidences négatives réelles ou potentielles ; prévenir et atténuer les incidences négatives potentielles, mettre un terme aux incidences négatives réelles et en atténuer l’ampleur.
Article 4, Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937
Dans ce cadre, le projet de règlement contre les produits du travail forcé implique en quelque sorte que toutes les entreprises mettent en place un devoir de vigilance, doit général, soit circonscrit à la prévention du travail forcé dans la supply chain. Il est probable que l’autorité compétente qui sera créée soit responsable des contrôles à la fois de la stratégie de vigilance et des produits liés au travail forcé.
Interaction avec la loi américaine contre le travail forcé des Ouïghours
La loi américaine sur la prévention du travail forcé des ouïghoures (UFLPA) introduit une présomption simple selon laquelle les produits issus en tout ou partie de la région ouïghour autonome du Xinjiang ont donné lieu à du travail forcé. Il revient à l’entreprise concernée de prouver aux douanes américaines que ce n’est pas le cas. A la différence de l’UFLPA, le projet de règlement contre les produits du travail forcé n’introduit pas de présomption visant une région ou un produit spécifique. A l’inverse, la Commission a choisi de faire peser la charge de la preuve sur l’autorité compétente plutôt que sur les opérateurs économiques concernés.
Quelles actions de conformité d’ici la prise d’effet du futur règlement ?
Le futur règlement devrait prendre effet deux ans après son entrée en vigueur, donc d’ici 2025 ou 2026. Cela laisse le temps aux entreprises concernées, notamment aux TPE et ETI, d’adapter leur chaîne d’approvisionnement.
L’autorité compétente fera son enquête sur la base d’informations communiquées non seulement par l’entreprise visée, mais aussi par tout autre tiers, dont des associations. De plus, l’absence de communication d’informations par l’opérateur économique n’empêchera pas à l’autorité compétente de prendre une décision. Pour l’enquête ne soit pas « à charge », il faudra donc être en mesure d’apporter des éléments précis et convaincants de la mise en conformité des procédures d’achats. Les mesures suivantes peuvent être envisagées :
- Identification des différentes opérations menées sur la chaîne d’approvisionnement ;
- Identification des risques liés au travail forcé à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement ;
- Prise de contact avec les fournisseurs pour obtenir des informations sur leur propre chaîne d’approvisionnement ;
- Mise en place de mesures d’atténuation des risques (mise à l’écart de fournisseurs, revue des contrats, création d’une politique d’achats).
Sources
(1) Regulation of the European Parliament and of the Council prohibiting products made with forced labour on the Union market (téléchargeable ici).
(2) Préambule (20).
(3) Préambule (42).
(4)Article 12.
(5)Article 28.
(6) Article 4 (3).
(7) Article 5.
(8) Article 6 (2).
(9) Article 6 (4).
(10) Article 7 (1)(b).
(13) Article 9 et Article 15 (2).
(11) Article 6 (6).
(12) Article 8.
(14) Article 17.
(15) Article 18.
(16) Article 20.