Aller au contenu

Responsabilité de la société-mère pour la réparation du dommage environnemental causé par sa filiale

Une des grandes questions du business and human rights est celle de savoir si une société-mère peut être tenu responsable des dommages causés par sa filiale. Devant les juridictions maniant la common law, la réponse est nuancée et en constant évolution (1) (voir aussi l’article sur le duty of care). Toutefois, devant les juridictions françaises, l’action en responsabilité menée à l’encontre d’un groupe de sociétés se heurte à plusieurs obstacles.

Profitant de l’introduction d’une action en comblement de passif environnemental dans le Code minier français par loi « Climat et Résilience » promulguée le 22 août 2022, cet article revient sur la question épineuse de la responsabilité de la société-mère du fait dommageable de sa filiale, d’un point de vue socio-environnemental.

Responsabilité de la société-mère pour fait dommageable de la filiale : simple ni en théorie, ni en pratique

Dispose-t-on en droit français d’un fondement efficace pour engager la responsabilité d’une société-mère, en raison d’un fait (délictuel ou non) dommageable d’une ou plusieurs de ses filiales ? En 2021, la réponse est non, que ce soit en droit pénal ou en droit civil.

En droit pénal

L’hypothèse est la suivante : une société-mère établie en France a une activité internationale, notamment par le biais de filiales de droit étranger. Dans un des États d’intervention de l’entreprise, la société filiale de droit local est impliqués dans des faits portant atteinte aux droits humains. Il pourrait s’agir par exemple de pollutions détruisant l’écosystème et affectant la santé des populations locales, ou bien des faits de violences sur les personnes causés par un service de sécurité employé par ladite filiale.

La société-mère pourrait-elle être déclarée responsable pénalement pour ces infractions potentiellement causées par l’action ou l’omission de sa filiale ?

Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait.

Article 121-1 du Code pénal

Ce court article est lourd de conséquences. Il fonde le principe de personnalité des peines : même si une personne morale peut être responsable pénalement (et encourir jusqu’à la dissolution), cette dernière ne pourra l’être que de son propre fait.

En outre, l’action publique pourrait difficilement poursuivre le groupe international, dans la mesure où cette entité n’a pas de personnalité morale et ne peut donc pas se voir imputer une responsabilité (2).

Ce n’est pas tout : dans sa contribution à un ouvrage de référence sur la RSE juridique, N. Mathey constate que le Code pénal impose qu’une condamnation ait lieu à l’étranger (siège de la filiale) pour que le complice résidant en France (siège de la société mère) puisse être poursuivi (3). Cela signifie que, dans notre hypothèse, les populations locales ne pourraient pas envisager de se tourner directement vers les juridictions françaises pour attraire à la fois la société-mère française et sa filiale de droit local, sauf à obtenir préalablement une première condamnation « chez eux ».

Peut-on alors envisager que les victimes puissent obtenir réparation de leur dommage, même en l’absence de responsabilité pénale, en agissant au titre de la responsabilité civile ?

En droit civil

La responsabilité civile admet qu’une personne puisse être responsable du fait d’autrui. Il faut alors établir l’existence d’un dommage, d’une faute « d’autrui’, et d’un lien de causalité entre ces deux premiers éléments. Non seulement il n’existe pas de responsabilité de la société-mère pour le fait fautif de sa filiale, mais la responsabilité générale du fait d’autrui ne semble pas s’appliquer pour les groupes de sociétés.

Pour rappel, la loi française sur devoir de vigilance, en vigueur depuis 2017, ne crée pas une telle responsabilité de la société-mère du fait de sa filiale. En effet, elle impose aux entreprises concernées d’établir un plan de vigilance – constitue une faute le fait de manquer à cette obligation (4).

La loi sur le préjudice écologique prévoit que « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer » (5). Ce fondement, entré en vigueur en 2016, ne permet donc pas d’obtenir de la société-mère la réparation du dommage environnemental causé par une filiale.

En l’absence de fondements « généraux », le législateur a innové et proposé un moyen d’obtenir la réparation de dégâts environnementaux de la société-mère en cas d’insolvabilité de sa filiale. Cette innovation apportée à l’action au comblement de passif a été introduite dans le code minier en 2021.

Responsabilité environnementale en droit minier & action en comblement de passif

Le droit du traitement des difficultés des entreprises propose un autre moyen de percer l’écran sociétaire et de rendre responsable une société-mère pour des faits dommageables dus à l’activité de sa filiale. La loi Climat & Résilience étend un mécanisme déjà présent dans le Code de l’environnement au titre duquel l’action en comblement de passif permet d’obtenir la condamnation d’une société-mère à réparer des dommages causés par sa filiale visée par une liquidation judiciaire (6).

Ces dispositions, dont l’efficacité se limite plutôt au territoire français, ne semblent pas véritablement pouvoir constituer une responsabilité de la société-mère efficace au regard des éléments de faits à établir pour faire réparer les dégâts générés par la filiale en faillite

L’action en comblement de passif comme fondement de la responsabilité mère/fille

L’action en comblement de passif est une sanction visant les dirigeants de personnes morales de droit privé soumises à une liquidation judiciaire.

Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.

Article L. 651-2, al. 1er Code de commerce

Elle suppose de réunir trois éléments de fait. Premièrement, la société-mère (actionnaire) doit s’être comportée en tant que « dirigeant de fait » c’est-à-dire à avoir exercé « une activité positive et indépendante dans l’administration de la société » (7) qui finirait par priver la filiale d’une quelconque autonomie. Deuxièmement, une faute de gestion doit avoir été commise par cette société-mère dirigeante de fait. Troisièmement, la faute de gestion doit avoir contribué à l’insuffisance d’actif de la filiale.

Obstacle supplémentaire à l’action en comblement de passif : « en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée » (8).

Malgré les limites imposées par la loi elle-même, l’action en comblement de passif existe en droit spécial de l’environnement, et depuis 2021 du secteur minier, pour qu’une liquidation judiciaire ne puisse faire obstacle à la réparation de dommages environnementaux.

L’action en comblement de passif comme moyen de réparer les dommages environnementaux

Les dispositions du droit minier entrées en vigueur en août 2021 proposent une action en comblement de passif pouvant être étendue à la mère de la filiale en faillite, afin de financer la réparation de dégâts environnementaux. Il s’agit de la reprise d’une disposition introduite par la loi n°2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (6 ; 9).

Lorsque l’explorateur ou l’exploitant est une société filiale d’une autre société au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce et qu’une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à son encontre, le liquidateur, le ministère public ou le représentant de l’Etat dans le département peut saisir le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire pour faire établir l’existence d’une faute caractérisée commise par la société mère qui a contribué à une insuffisance d’actif de la filiale et pour lui demander, lorsqu’une telle faute est établie, de mettre à la charge de la société mère tout ou partie du financement des mesures d’arrêt des travaux des sites en fin d’activité ou des mesures nécessaires à la réparation des dommages mentionnés à l’article L. 155-3 du présent code.

Article L. 171-3, al.1er du Code minier

Dans l’article L. 512-17 du Code de l’environnement, cette action vise à mettre à la charge de la société-mère « tout ou partie du financement des mesures de réhabilitation du ou des sites en fin d’activité. »

A la différence de l’action en comblement de passif du Code de commerce, ces actions en comblement du passif « écologique » d’une filiale peut même être étendue aux sociétés « grand-mère » et « arrière-grand-mère » de la filiale débitrice.

Lorsque la société mère condamnée dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article n’est pas en mesure de financer les mesures mentionnées au même premier alinéa incombant à sa filiale, l’action mentionnée audit premier alinéa peut être engagée à l’encontre de la société dont elle est la filiale au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce, si l’existence d’une faute caractérisée commise par la société mère ayant contribué à une insuffisance d’actif de la filiale est établie. L’action peut être également engagée à l’encontre de la société dont la société condamnée en application du présent alinéa est la filiale au sens de l’article L. 233-1 du code de commerce, dès lors que cette dernière société n’est pas en mesure de financer les mesures mentionnées au premier alinéa du présent article incombant à sa filiale.

Article. L. 171-3, al.2 du Code minier

En principe, cet article instaure en droit minier spécifiquement pour les sociétés mère grand-mère et arrière-grand-mère une responsabilité partagée avec sa filiale en cas de dommages environnementaux causée par l’activité de cette dernière.

En pratique, l’impact des dispositions du code minier et du code de l’environnement est limité pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle fait double emploi avec l’action en comblement de passif du Code de commerce, ce qui pourrait poser des difficultés d’application. Ensuite, l’existence d’une « faute caractérisée » doit être établie, et non d’une faute « simple ». Cette faute caractérisée doit qui plus est avoir contribué à l’insuffisance d’actif – le lien de causalité doit être établi. A notre connaissance, il n’y a pas de jurisprudence existant en 2021 sur le fondement de l’article L. 512-17 du Code de l’environnement (10).

Dans un contexte international, de telles dispositions pourraient être introduites dans des États où des dommages environnementaux sont causés par des filiales de société-mère basées à l’étranger. En effet, les dispositions présentées visent à protéger l’écosystème dans lequel évolue des sociétés soumises au droit français. Elles ne résolvent pas la question de la responsabilité des sociétés-mères pour la réparation des dommages environnementaux causés par leurs filiales dans des États dont le droit national prévoit peu de recours pour les populations concernées.

Sources

(1) C. Chalas et H. Muir Watt, « Vers un Vers un régime de compétence adapté à la responsabilité environnementale des entreprises multinationales ? Point d’étape post-Brexit (affaires Municipio de Mariana v. BHP plc & BHP group Ltd ; Okpabi and others v Royal Dutch Shell Plc and another), Revue critique de droit international privé, 2021, p.333.

(2) V. Magnier, Droit des sociétés, Dalloz, 9ème éd., Oct. 2019, para.709.

(3) N. Mathey, « La responsabilité sociale des entreprises et les droits de l’homme », dans Responsabilité sociale de l’entreprise, dir. F.-G. Trébulle et O. Uzan, Economia, 2009, pp.181-182.

(4) Articles L. 225-102-4 et L.225-102-5 du Code de commerce

(5) Article 1246 du Code civil.

(6) X. Delpech « Loi ‘Climat et résilience’ : aspect de droit des affaires », Dalloz actualité 8 septembre 2021.

(7) Cass. com. 9 mai 1978

(8) Artice L. 651-2, al.1er du Code de commerce.

(9 )Article L. 512-17 du Code de l’environnement.

(10) T. Montéran, « Liquidation judiciaire et sites polluées : une action en recherche de maternité », Recueil Dalloz, 2010, p.2859.